Changement de langue, changement de personnalité? Partie II

Message écrit par François Grosjean.

Dans un premier article sur ce sujet (voir ici), j'ai discuté de la question de savoir si les bilingues qui parlent deux langues ou plus changent de personnalité lorsqu'ils changent de langue. J'ai reproduit des témoignages personnels et cité deux études qui semblent donner une réponse positive. J'ai ensuite soutenu que c'est l'environnement, la culture et les interlocuteurs qui font changer les attitudes, les sentiments et les comportements des bilingues (avec la langue) – et non leur langue en tant que telle. En substance, il ne semble pas y avoir de relation causale directe entre le langage et la personnalité.

Mon message a reçu de nombreux commentaires que j'ai lus attentivement. Sur la question du changement de personnalité, mes répondants, probablement tous bilingues, étaient indécis. Environ un tiers pensait qu'il n'y avait pas de changement de personnalité, un deuxième tiers y pensait, et le tiers restant ne mentionnait pas cet aspect. Cette réaction mixte n'est pas une surprise car même chez les chercheurs, il est difficile de trouver un consensus sur la façon de définir la personnalité.

Un répondant qui croyait en un changement de personnalité a abordé la question de savoir s'il peut y avoir parfois une relation causale directe entre le changement de langage et le changement de personnalité (et pas toujours une relation indirecte comme proposé ci-dessus). Il a soulevé la possibilité intrigante qu'une «relation de causalité initialement indirecte puisse se développer en une relation directe» et il a cité l'étude bien connue de Pavlov concernant la réaction de ses chiens au son d'une cloche. Cela pourrait expliquer, en partie, la remarque d'un autre répondant. Elle a trouvé qu'un professeur était assez strict et un peu intimidant lorsqu'il parlait une langue et qu'il était plus amical dans l'autre langue. Elle a continué comme suit: "Si vous étiez dans une pièce avec elle et qu'elle vous donnait du fil à retordre, c'était une bonne idée de manipuler la conversation dans l'autre langue!".

Bien que divisés sur la question de la personnalité, la plupart des répondants étaient d'accord avec le fait que différents contextes, domaines de la vie et interlocuteurs – qui à leur tour induisent des langues différentes – déclenchent des impressions, des attitudes et des comportements différents. Ainsi, en tant que bilingues biculturels, nous nous adaptons à la situation ou à la personne à qui nous parlons, et changeons notre langue quand nous en avons besoin (voir ici), sans pour autant changer notre personnalité. Un répondant a très bien dit: «… ce n'est pas un changement de personnalité mais simplement l'expression d'une autre partie de notre personnalité qui n'est pas montrée aussi fortement dans notre (nos) autre (s) langue (s)».

Nous espérons que les recherches futures utiliseront à la fois des tests explicites et implicites des attitudes et du concept de soi, comme l'a suggéré un autre répondant. Ceci est d'autant plus important que tout le monde n'est pas tout à fait capable de juger qu'ils "se sentent différents" lorsqu'ils changent de langage. Dans une étude récente, la chercheuse Katarzyna Ożańska-Ponikwia a examiné pourquoi certaines personnes déclarent se sentir différentes alors que d'autres ne le font pas. Elle a interrogé une centaine de personnes bilingues composées de personnes qui avaient grandi en deux langues, d'immigrants ayant acquis leur deuxième langue plus tard dans la vie, ainsi que d'étudiants qui étaient restés dans un pays étranger pendant une période prolongée pour donner des réponses à deux questionnaires de personnalité et pour donner des valeurs d'échelle à des énoncés tels que «Je me sens quelqu'un d'autre en parlant anglais» ou «Les amis disent que je suis une personne différente quand je parle anglais».

Ce qu'elle a trouvé, c'est que seules les personnes qui sont émotivement et socialement capables sont capables de remarquer un sentiment différent. Selon elle, certaines personnes ne signalent pas de changement dans leur comportement ou dans leur perception ou expression d'émotions lors du changement de langage, non pas parce qu'elles n'existent pas, mais parce qu'elles sont incapables de les remarquer. Elle spécule que ce sont des personnes ayant des compétences sociales et émotionnelles supérieures à la moyenne qui peuvent remarquer qu'elles adaptent des aspects de leur personnalité et de leur comportement lorsqu'elles utilisent une autre langue.

J'ai hâte de lire d'autres études sur ce sujet dans les années à venir. Non seulement ils me permettent de mettre à jour ma propre réflexion sur le sujet, mais ils peuvent aussi m'aider à comprendre ma conduite bilingue au cas où j'appartiens à la catégorie de ceux qui ne remarquent pas les changements d'attitudes, de sentiments et de comportements.

Référence

Katarzyna Ożańska-Ponikwia (2012). Qu'est-ce que la personnalité et l'intelligence émotionnelle ont à voir avec «se sentir différent» lorsqu'on utilise une langue étrangère? Revue internationale de l'éducation bilingue et du bilinguisme , 15 (2), 217-234.

La publication "La vie en tant que bilingue" par domaine de contenu.

Le site de François Grosjean.