Bonheur 101

Le bonheur tel que nous le connaissons aujourd’hui peut être considéré comme un luxe des temps modernes.

Bien que le bonheur soit bien sûr un sujet intemporel et de portée universelle, les Américains entretiennent avec lui une relation privilégiée depuis la fondation de la nation. Cette relation s’est accélérée au XXe siècle avec l’extension de la classe moyenne, l’émergence d’une culture de masse et le transfert du travail des emplois d’usine et de l’agriculture vers des postes de direction. Une plus grande prospérité a non seulement fait naître chez les Américains l’espoir d’être heureux, mais elle a également accru la pression sociale, un effet de va-et-vient déclenché par les forces du modernisme. Le bonheur tel que nous le connaissons aujourd’hui peut donc être considéré comme un luxe de l’ère moderne, car avant cela, les humains passaient une grande partie de leur temps et de leur énergie à essayer de survivre le plus longtemps possible.

Comme dans la plupart des luxes, toutefois, la quête du bonheur au cours du siècle dernier a coûté très cher. Comme le suggère l’édition très sélective de sa vie sur Facebook afin de créer un récit de bonheur, il subsiste une pression sociale importante pour que les individus soient perçus comme des heureux. Les médias sociaux ont indéniablement intensifié cette pression, déclenchant ce que de nombreux experts considèrent comme une véritable crise psychologique chez les jeunes. Etre jugé par les autres comme une personne malheureuse comporte un certain type de stigmatisation sociale dans ce pays, car ces personnes sont généralement considérées comme des échecs pour ne pas avoir tiré parti de leur droit inaliénable au bonheur. Il ne fait guère de doute que le bonheur est une forme précieuse de monnaie culturelle, plus précieuse en réalité que de l’argent, ce dernier pouvant être facilement gagné et dépensé.

Divers facteurs ont contribué à l’élévation du bonheur à des proportions presque religieuses aux États-Unis et à l’incapacité de la plupart des Américains d’atteindre réellement cet état d’être. Nous passons beaucoup trop de temps à regarder en arrière et à regarder de l’avant, d’une part, avec le présent primordial souvent occulté par les regrets concernant le passé et l’inquiétude pour l’avenir. Nos religions judéo-chrétiennes dominantes ne sont pas non plus très favorables au bonheur, peut-on dire, car elles sont nettement plus critiques que les philosophies du Bouddhisme et des autres spiritualités orientales. À un niveau encore plus fondamental, la plupart d’entre nous n’ont tout simplement pas enseigné ni montré comment être heureux car, jusqu’à l’apparition relativement récente de la psychologie positive, il n’existait que très peu de formation ou d’instruction dans ce domaine. L’éducation et la socialisation visent à apprendre à réussir dans un domaine particulier, en partant du principe que cela mènera au bonheur. Cette hypothèse est fausse, cependant, avec beaucoup d’Américains surpris que le bonheur ne vienne pas après avoir atteint leurs objectifs professionnels ou personnels.