Faux amis et autres compagnons non désirés

Message écrit par François Grosjean.

Comme on le sait, les bilingues sont extrêmement doués pour ne garder qu'une seule langue lorsqu'ils se trouvent dans un environnement monolingue. Si, en outre, ils parlent couramment cette langue et n'y ont pas d'accent, ils peuvent "passer" comme des monolingues (voir ici). La façon dont ils désactivent (ou même inhibent) leur (s) autre (s) langue (s) est une question activement recherchée en psycholinguistique et en neurolinguistique.

Cela dit, l'un des mystères du bilinguisme pour quelqu'un comme moi qui a travaillé sur le sujet pendant tant d'années est que, même si les bilingues «ferment» une langue, il arrive parfois de façon sporadique sous forme d'interférences dynamiques, c'est-à-dire écarts épisodiques de la langue parlée (ou écrite) en raison de l'influence de l'autre, désactivée, langue (s). (Notez que les autres types d'interférences sont statiques dans la mesure où elles reflètent des traces permanentes d'une langue sur l'autre, comme un accent permanent, elles sont souvent appelées «transferts»).

Les interférences dynamiques – les compagnons non désirés d'un bilingue – peuvent survenir à tous les niveaux de la langue. Par exemple, au niveau de la prononciation, les interférences peuvent s'infiltrer si la personne est fatiguée ou stressée. Ils se matérialisent lorsque vous prononcez mal certains sons (par exemple le son anglais "th", le son "ou" français), lorsque vous mettez un accent égal sur toutes les syllabes d'un mot qui ne nécessite qu'une syllabe accentuée, ou lorsque vous utilisez un pattern d'intonation. sur votre autre langue.

Au niveau des mots, on trouve ces faux amis infâmes (la peur constante des traducteurs et des interprètes, entre autres) qui correspondent à des homophones proches ou à des homographes proches en deux langues, mais avec des significations différentes. Combien de fois n'ai-je pas dit «librairie» en français (ça veut dire «librairie»), en m'appuyant sur «bibliothèque» en anglais, alors que j'aurais dû dire «bibliothèque». (Le même faux ami existe entre l'espagnol et l'anglais – une "librería" n'est pas une bibliothèque mais une librairie).

Il y a aussi ces mots qui sont des amis peu fiables comme "historia" espagnol qui signifie "histoire" mais qui signifie aussi une histoire ou un conte. Nancy Huston, l'écrivaine bilingue canadienne et française, rapporte qu'elle finit par éviter l'utilisation de faux amis comme «éventuellement» en français et «éventuellement» pour s'assurer qu'elle ne les mélange pas.

Des interférences syntaxiques se produisent, par exemple, lorsque des locuteurs bilingues utilisent le modèle de mot d'ordre d'une langue dans l'autre, insèrent des déterminants inutiles, insèrent un mauvais marqueur de genre sur un article ou utilisent des prépositions de manière inappropriée.

Les expressions idiomatiques sont des pièges bien connus lorsqu'ils sont traduits mot à mot puisque tous les mots prononcés sont parfaitement bien mais la signification globale ne l'est pas. Par exemple, «Je me raconte des histoires» prononcées par un bilingue français-anglais devrait être remplacé par «je plaisante» (la personne s'est basée sur le français, «Je me raconte des histoires»).

C'est à ce moment-là, lorsque la personne à qui on s'adresse demande ce qui est dit, ou réagit d'une façon ou d'une autre, ou offre même la bonne expression, que les bilingues sont décontenancés. Ils étaient sûrs qu'ils parlaient correctement, et dans la bonne langue, mais ils réalisent soudainement que tout n'était pas totalement clair.

Les bilingues qui écrivent dans les deux langues doivent faire particulièrement attention à l'orthographe des quasi-homographes. Les bilingues français-anglais doivent s'arrêter et réfléchir combien y a-t-il de "adresse" (un seul en français), combien de h en "rythme" (encore un seul en français), etc. Les meilleurs bilingues présents reçu avec l'avènement des traitements de texte étaient des vérificateurs d'orthographe!

Si les bilingues sont clairement dominants dans une langue, c'est leur langage plus fort qui influence principalement leur langue plus faible. Cependant, lorsque les bilingues parlent couramment les deux langues, les interférences sont souvent bidirectionnelles, chaque langue pouvant influencer l'autre de temps en temps. Cela amène certains bilingues à penser que, peut-être, ils ne parlent pas bien l'une ou l'autre langue alors qu'en fait, ce sont de très petites bosses sur une route habituellement lisse.

Nous devrions garder à l'esprit qu'une fois qu'un bilingue a atteint un niveau stable de fluidité, les interférences, si elles se produisent, compromettent rarement la communication. Comme je l'ai écrit dans un article précédent, ils rendent même ce qui est dit plus original, moins stéréotypé et stylistiquement plus intéressant, comme on peut le voir dans la prose de nombreux auteurs bilingues (voir ici). En tant que bilingues, nous devrions peut-être tenir compte des mots de sagesse de Barbara Kingsolver quand nous pensons aux interférences: «L'ami qui tient la main et dit la mauvaise chose est fait de choses plus chères que celui qui reste à l'écart.

Photo de deux femmes qui murmurent à Shutterstock.

Les références

François Grosjean. (2012). Une tentative d'isoler, puis de différencier, le transfert et l'interférence. Journal international du bilinguisme , 16 (1), 11-21.

François Grosjean. "Parler et écrire de façon monolingue". Chapitre 6 de Grosjean, François (2010). Bilingue: vie et réalité . Cambridge, Mass: Harvard University Press.

La publication "La vie en tant que bilingue" par domaine de contenu.

Le site de François Grosjean.