En réponse à la tragédie insensée, que peut dire la philosophie?

Albert Camus sur l’absurdité de la vie.

Habituellement, nous semblons supposer que nous pouvons détecter la signification et l’intelligibilité de la vie. Nous créons des listes de règles et pesons sans cesse sur le sujet du jour. Mais certains événements sont si tragiques qu’ils nous rendent sans voix, et je me demande si la philosophie peut être utile dans une telle situation. Je m’interroge sur la pertinence d’une philosophie de moins en moins connue, celle d’Albert Camus.

Mes étudiants arrivent à l’Université sans connaître les vues ou le nom de Camus. Cela fonctionne très bien pour moi, car il est particulièrement riche de penser que la vie est absurde pour ceux qui vont réfléchir à l’idée pour la première fois. Je pense qu’il pourrait même trouver cette approche “tout à la fois” supérieure à un processus de réchauffement de l’idée.

Par le passé, les étudiants se sont d’abord moqués de la proposition selon laquelle “la vie est absurde” lorsqu’ils lisent le travail à la maison. Ce ne serait qu’une fois que je les verrais en classe que je pourrais commencer à expliquer que Camus n’offrait pas d’arguments contre le sens qu’ils reconnaissent dans leur vie. Il s’adressait à des personnes qui avaient déjà éprouvé le sentiment troublant que la plupart de ce que nous nous disons est un vœu et une protection.

J’utiliserais un collègue professeur à mon école comme exemple. Depuis que sa famille a vécu l’Holocauste, il ne voyait pas comment un peintre pouvait créer un art qui semblait rassurant. Il m’a dit une fois: «Qui peut raconter de belles histoires et peindre de jolies photos après l’Holocauste? Qui? “Il a contribué à développer l’expressionnisme abstrait, en gardant à l’esprit la philosophie de Camus.

Cela aidait. Les élèves s’imaginaient dans les pires moments et essayaient d’imaginer leur vie s’ils étaient radicalement différents. Pourtant, j’expliquerais toujours ce que Camus a fait: eux aussi devraient reconnaître ce qu’il prend pour être la preuve de ses prétentions. Nous faisons l’expérience de l’absurde même lorsque les choses semblent aller très bien. Je leur demanderais s’ils ressentaient de la colère ce matin-là chez un piéton, par exemple, qu’ils devaient attendre en conduisant. Je me ferais dire oui. Nous nous tournons ensuite vers la ligne de Camus:

“Un homme parle au téléphone derrière une cloison de verre; vous ne pouvez pas l’entendre, mais vous voyez son spectacle incompréhensible: vous vous demandez pourquoi il est vivant. ”

Lorsque nous regardons quelqu’un parler au téléphone, traverser la rue sans réfléchir ou faire d’autres choses banales qui nous agacent, ressentons-nous le dégoût et le dédain? Est-ce que nous nous demandons quel est le but de cette personne – si inerte dans la conversation, si inattentive dans la rue? Je me ferais dire oui.

Eh bien, après nous être garés sur le campus, nous sommes devenus un piéton ennuyeux. Camus souligne que nous ne sommes pas différents des gens qui nous agacent. Nous sommes comme eux pour les autres. Nous sommes comme eux pour nous. Demandez à quelqu’un de vous enregistrer pendant votre journée: vous ferez les choses que vous méprisez en regardant. Le dédain que nous ressentons est pour nous-mêmes. L’irrégularité que nous ressentons est pour nous-mêmes. Nous ne sommes pas moins absurdes.

Bien sûr, nous ne pourrons rien de plus qu’un avant-goût. J’avais l’habitude de souligner que notre situation de vie ne nous opposerait peut-être pas à la preuve la plus évidente que la vie n’a aucun sens. Nous pouvons échapper à l’Holocauste. Nous pourrions ne pas être kidnappés par des inconnus, nos proches pourraient ne pas mourir dans un accident de voiture alors qu’ils auraient pu prendre le train en toute sécurité. Mais certaines personnes ne sont pas aussi chanceuses. Comment les expériences de ces personnes s’intègrent-elles dans les histoires que nous nous racontons? Que penserions-nous si nous expérimentions la même chose?

En pensant à la vie comme absurde, est-ce toujours un guide?

En réponse à des points de vue comme ceux de Camus, le philosophe Joel Feinberg trace les différentes notions d’absurdité que nous ne sommes généralement pas assez attentifs à distinguer. La plupart d’entre eux sont plus inoffensifs qu’autre chose. Une certaine absurdité n’est que de l’incongruité: un chien vêtu de vêtements humains. Une certaine absurdité n’est que dérangement de nos attentes typiques (les paroles d’Alanis Morissette me viennent à l’esprit). Feinberg se montre très habile contre l’idée que nos vies dans leur ensemble sont absurdes simplement parce qu’elles ne servent pas un objectif cohérent. Il explique que la vie peut être satisfaisante avec les objectifs et les activités que nous menons, même si nous accordons cela dans une perspective cosmique, nos tâches peuvent sembler absurdes.

Mais il ne peut pas expliquer tout ce que décrit Camus.

Feinberg inclut dans son essai une description des derniers moments de la vie de certains soldats britanniques. Ils ont choisi d’obéir aux ordres de marcher jusqu’à une mort certaine, dans une bataille suffisamment peu stratégique pour ne pas leur donner le sentiment de jouer un rôle utile dans une campagne plus large. Face à la plus absurde des absurdités, ils ont choisi d’utiliser le type de méthode recommandé par Camus. Ils ont chanté la chose la plus courageuse possible en marchant. Ce n’est pas ce à quoi nous avons été amenés à nous attendre, mais il convient mieux à la vision de Camus que tout autre. On nous dit qu’ils ont chanté: “Nous sommes ici parce que nous sommes ici parce que nous sommes ici parce que nous sommes ici …”

Pour Camus, la reconnaissance de la futilité est l’essence de l’héroïsme. C’est de vivre “sans appel”, de ne pas se dérober mais de faire face à ce que nous sommes amenés, aussi horrible soit-il. Pour faire face à cela, c’est tout ce que nous pouvons vraiment faire, si nous sommes personnellement touchés par l’inexplicable, explique Camus. C’est le maximum que nous pouvons attendre de nous-mêmes dans de telles situations, mais c’est beaucoup.

Une telle perspective est-elle utile? Eh bien, je ne pense plus que mes étudiants ignorent complètement le potentiel que leur vie pourrait subir pour des raisons absurdes. Pour les étudiants qui se cachent dans une salle de classe dans laquelle un tueur a tiré à travers l’ordinateur juste au-dessus de leur tête, la situation ne semble pas très différente de celle des soldats marchant. Je n’aurai plus besoin de demander à mes élèves d’imaginer passé.

Les tragédies insensées ne s’accumulent pas. Les décès impliquent ne pas s’additionner. Après tout, ils ne sont pas nécessaires, même s’ils apportent davantage de conscience (bien sûr, nous pouvons imaginer que cela se produira sans perte de ces vies particulières). Dans ces cas, quelles sont nos ressources? Nous sommes si mal préparés. Et quel confort y a-t-il vraiment?

Si quelque chose que nous dirions typiquement à quelqu’un qui traverse une période difficile semble approprié – quelque chose que j’ai manqué – alors peut-être que Camus n’est pas si maniable. Mais si, dans des moments comme ceux-ci, il nous donne un moyen d’aller de l’avant, de trouver un moyen de nous consoler, alors peut-être qu’il l’est.

Les références

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, http://dbanach.com/sisyphus.htm