L’anxiété n’est jamais sans objet

Parfois, ce n’est pas une perte qui provoque l’anxiété, mais une proximité inconfortable.

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Habituellement, quand je rencontre des clients qui éprouvent de l’anxiété, ils ont une bonne idée de ce qui les amène: milieux sociaux, espaces clos, araignées. Antoine, cependant, ne connaissait aucun déclencheur. Parfois, il se sentait envahi par la peur, pouvait le sentir couler le long de sa colonne vertébrale dans la plante de ses pieds. Le fait que quelqu’un ne sache pas d’où vient son anxiété ne signifie pas pour autant qu’il n’a aucune origine, bien sûr, j’ai donc commencé par le soulager à court terme: exercices de respiration, thérapie d’exposition légère, etc.

Quelques séances dans son traitement, Antoine est venu à sa séance et m’a dit qu’il avait une histoire qu’il pensait devoir partager. Il a longuement décrit l’implication de sa famille dans une petite église chrétienne fondamentaliste. Son père, à un moment donné, dirigea l’étude biblique, sa mère prépara des biscuits pour l’heure du café. Il y avait même quelques sermons il y a quelques années quand il envisageait de devenir pasteur. Il a finalement décidé de ne pas le faire, mais son implication dans l’église n’avait pas diminué. Il y a environ cinq ans, il est devenu amoureux d’une femme de la congrégation, un autre membre à vie comme lui. La relation devint sérieuse assez rapidement et bientôt Antoine et sa petite amie commencèrent à avoir des relations sexuelles. C’était strictement interdit dans leur congrégation, mais d’après sa description, je ne pense pas qu’Antoine ait éprouvé beaucoup de culpabilité pendant qu’ils étaient ensemble. Ils se sont fréquentés pendant quelques années, mais la plupart du temps. Finalement, leur relation a pris fin, puis il s’est soudainement senti submergé de culpabilité. Il était certain que tous les autres membres de la congrégation pourraient voir un “pécheur” sur son front. Quelques semaines après la dissolution de la relation, il a avoué ses transgressions à son pasteur et son pasteur l’a forcé, ainsi que son ex-petite amie, à avouer leurs transgressions sexuelles devant la communauté. Antoine a ensuite été contraint de rester seul dans les services pendant un an, physiquement présent mais évité de toutes les manières.

Au moment où Antoine était arrivé à mon bureau, il avait été réintégré dans son église pendant environ un an et quand il avait réfléchi à l’expérience, il semblait le soutenir. Le temps était nécessaire, a-t-il dit, pour l’amener à considérer pleinement le poids de ses actions. Alors que notre traitement continuait, je commençais à penser que ses symptômes racontaient une autre histoire. Plutôt que de se sentir inquiet de la perte de sa petite amie comme il le soupçonnait, j’ai commencé à penser que c’était la pure immanence de son église qui provoquait en lui la terreur.

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Généralement, nous pensons à l’anxiété comme à une peur de la perte: d’un partenaire romantique, de notre rôle social, de notre vie. Jacques Lacan, cependant, adopte l’approche opposée dans son Séminaire X , simplement intitulé Anxiety : «L’anxiété n’est pas la perte de l’objet, mais sa présence. Les objets ne manquent pas. “Plus précisément, l’objet est objet petit a, l’objet que nous désirons que nous trouvions dans l’autre. L’anxiété surgit lorsque nous trouvons que quelque chose a pris sa place et que nous ne savons plus ce que l’Autre veut de nous. Lacan relie davantage l’anxiété au concept de manque. L’anxiété ne résulte pas d’un manque mais d’un manque de manque, de la présence écrasante de l’objet. L’anxiété ne permet pas au désir de prendre racine car il n’y a rien à désirer; on est enveloppé de pure présence.

La terminologie de Lacan peut être délicate, alors laissez-moi vous expliquer comment cela a fonctionné avec Antoine. Quand il était relativement stable dans sa relation avec sa petite amie, elle pouvait être son objet de désir (personne ne peut satisfaire à la volonté de Lacan à proprement parler, mais pour simplifier, je simplifie un peu). Quand elle était partie, cependant, il n’y avait rien d’autre à sa place qu’un sentiment confus d’obligation et de transgression de la part de sa communauté. Antoine n’a pas pu s’éloigner de son église; sa famille y est allée et il y avait beaucoup de liens sociaux. En même temps, il a été interdit de tout contact réel avec eux en raison de son évitement. L’imminence de son église et son obligation à l’égard de son code éthique particulier étaient accablantes et il était terrifié devant sa présence incontournable.

La religion est toujours un sujet délicat en thérapie, d’autant plus qu’elle ne semble pas fonctionner pour le patient mais ne semble pas l’ignorer. J’ai dansé autour du problème avec Antoine, mais il n’a jamais voulu y aller complètement. Peu importe à quel point je peux penser que l’exploration d’un sujet peut bénéficier à l’un de mes patients, cela ne vaut jamais la peine de le forcer à y aller. Au fil du temps, cependant, il a commencé à assouplir sa position envers sa religion, a commencé à se permettre de respirer un peu plus. Il a pris l’habitude de pratiquer la pleine conscience régulièrement, ce qui a aidé ses symptômes à diminuer. Au moment où nous avons terminé, son anxiété était minime. Bien que nous n’ayons pas complètement exploré comment la proximité de sa foi pouvait lui causer de la détresse, Lacan m’a donné un langage pour réfléchir à la façon dont l’anxiété peut survenir quand quelque chose n’est pas trop loin mais plutôt trop proche pour le confort.

Les références

Lacan, J. (2016). Séminaire X: Anxiété. Malden, MA: Polity Press.